11 juin 2012

Le Québec en deuil, les bulles aussi – Acte 16 : LES GENS DE MON PAYS

Samedi soir, après un tour aux Francofolies (Fanny Bloom a battu de la casserole et fait un vibrant hommage au grand Claude Léveillée), nous sommes partie en direction de l’avenue du Mont-Royal pour une flash mob. En compagnie de Jean Barbe, nous étions plusieurs dizaines de personnes à lire d’une même voix la poésie de Gérald Godin : un moment à poils de bras qui se dressent, gorge qui se noue et saveur lacrymale au bord des yeux. Juste après ça, je croise Amir Khadir, en famille (enfin celle qui n’est pas emprisonnée), se baladant tranquillement. Dans le genre député à vélo, les deux sont vraiment de valeur !

Je ne suis pas née dans ce pays, je suis née de ce pays qui, s’il n’existe pas légalement, vit légitimement et encore plus ces derniers temps. Je suis tombée en amour (d')ici, alors je reste. Gilles Vignault dans Les gens de mon pays (superbement interprété par Pauline Julien, l’éternelle compagne de Gérald Godin) terminait par ceci :

Je vous entends passer
Comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté


Les gens de mon pays
Gilles Vignault

Les gens de mon pays
Ce sont gens de paroles
Et gens de causerie
Qui parlent pour s'entendre
Et parlent pour parler
Il faut les écouter
C'est parfois vérité
Et c'est parfois mensonge
Mais la plupart du temps
C'est le bonheur qui dit
Comme il faudra de temps
Pour saisir le bonheur
À travers la misère
Emmaillée au plaisir
Tant d'en rêver tout haut
Que d'en parler à l'aise

Parlant de mon pays
Je vous entends parler
Et j'en ai danse aux pieds
Et musique aux oreilles
Et du loin au plus loin
De ce neigeux désert
Où vous vous entêtez
À jeter vos villages
Je vous répéterai
Vos parlers et vos dires
Vos propos et parlures
Jusqu'à perdre mon nom
Ô voix tant écoutées
Pour qu'il ne reste plus
De moi-même qu'un peu
De votre écho sonore

Je vous entends jaser
Sur les perrons des portes
Et de chaque côté
Des cléons des clôtures
Je vous entends chanter
Dans la demi-saison
Votre trop court été
Et mon hiver si longue
Je vous entends rêver
Dans les soirs de doux temps
Il est question de vents
De vente et de gréments
De labours à finir
D'espoirs et de récoltes
D'amour et du voisin
Qui veut marier sa fille

Voix noires voix durcies
D'écorce et de cordage
Voix des pays plain-chant
Et voix des amoureux
Douces voix attendries
Des amours de village
Voix des beaux airs anciens
Dont on s'ennuie en ville
Piailleries d'écoles
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts les quais les gares
Tous vos crimes maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m'arrachent l'oreille

Est-ce vous que j'appelle
Ou vous qui m'appellez
Langage de mon père
Et patois dix-septième
Vous me faites voyage
Mal et mélancolie
Vous me faites plaisir
Et sagesse et folie
Il n'est coin de la terre
Où je ne vous entende
Il n'est coin de ma vie
À l'abri de vos bruits
Il n'est chanson de moi
Qui ne soit toute faite
Avec vos mots vos pas
Avec votre musique

Je vous entends rêver
Douce comme rivière
Je vous entends claquer
Comme voile du large
Je vous entends gronder
Comme chute en montagne
Je vous entends rouler
Comme baril de poudre
Je vous entends monter
Comme grain de quatre heures
Je vous entends cogner
Comme mer en falaise
Je vous entends passer
Comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté


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