La dernière fois que j’avais vu
Avec pas d’casque, c’était dans la fournaise d’un été, pour l’anniversaire de
Grosse Boite au Quai des Brumes. À l’époque la poésie de Stéphane Lafleur avait
effleuré mes oreilles comme un crève-tympan : une déchirure qui rend tout
autre mot sourd. Puis « Astronomie » est sorti, et c’est comme si je
ne me rappelais plus bien pourquoi j’aimais cette musique : à trop être en
amour on en oublie la source et l’évidence remonte sans qu’on s’y attende, par
quelques moments de vérité physique. La Sala Rossa avait comme décidé que ce
soir-là qu'il ne pouvait en être autrement : les cœurs enrobés seraient
comblés.
Antoine Corriveau en première
partie, l’ingrate partie du début de soirée, où le monde jase avec sa bière tiédissant
lentement, et où l’on écoute 15 secondes pour dire à son voisin « ouin, c’est
pas pire », sans vraiment prendre l’ampleur de ce qu’on a sous les yeux.
Car on l’oublie, les premières parties sont souvent les génies de demain. Pour
Corriveau, nul doute que le passage du Printemps Érable a fait son chemin et
que cette force créatrice a donné un supplément d’âme à ses compositions. Avec
quasiment que des inédits, une vraie primeur, on sent un soupçon de Noir Désir là-dessous,
ambiance « Des visages, des figures », la voix moins éraillée mais le
même langage propres aux (en)voleurs de mots. Une certaine force tranquille
émane des quatre comparses qui assis bien tranquillement se concentrent avec
soin sur leurs instruments.
Avec pas d’casque arrive ensuite
avec un Stéphane Lafleur décontracté et enjoué pas avare de sourires et bons
mots avec le public. Les trois albums y passent comme on avalerait un cocktail
super-couches : il n’y a rien à jeter là dedans, pas une seule milliseconde
d’ennui. Le monde fredonne les refrains connus, s’essouffle devant les chansons
plus calmes, et cri pour ponctuer les silences. Je ne sais pas ce qu’il y a de
beau dans la musique d’Avec pas d’casque : quelque chose de
personnel-universel, une sorte d’emprise rythmique qu’on retrouve
naturellement, des paroles instinctives qui parle au premier comme au second
degré. Si l’amour passe à travers le linge, il n’y a pas qu’au travers des
fibres que la musique peut transporter, il y a aussi dans l’air confiné, au relent
de bière, aux effluves de chaleur qu’elle se nourrit de quelque chose de plus
qui laisse une trace dans le sang au dépistage des addictions frénétiques. La
reprise finale d’Adamus en toute humilité et noblesse (Les chemins du doute) finit par tous nous tuer une overdose de beau
et puis s’en va.
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